Comme tu le sais, j’ai eu le privilège de tester plâtre et béquilles quelques semaines. Je me répète un peu mais c’est tout de même en numéro deux dans la catégorie Faich’itude (le premier restant l’indétrônable épisiotomie) (je viens de perdre un lecteur mâle).
Je passe mon temps à me croiser les béquilles, m’écraser le pied valide ou encore à tenter de recoller les morceaux de tout ce que je casse. J’oublie qu’une béquille c’est long, même quand elle sort de ton champ visuel. C’est déjà périlleux dans ma tanière mais à l’extérieur, c’est pire et régulièrement je donne du « Oups… Pardon… Désolée ». J’aurais pu frôler le lynchage public cependant, la majeure partie du temps, les personnes croisées sont vraiment aimables (voire drôles), serviables (incroyable) et patients (surtout aux passages piétons). J’ai même échangé quelques astuces avec Mémé déambulateur. La ville me rend le sourire.
C’est donc sans crainte que je m’aventure jusqu’au premier shop du coin. Mon grand minot part en colo, sans copain et sans doudou. Aïe ! J’ai affreusement peur de sa décision, j’ai mal qu’il sorte déjà du complexe œdipien, je suis fière aussi. Je veux lui faire le pack vacances de rêve : bonbons, Oréo et bandes-dessinées. Je trotte parmi les rayons sans rien renverser, je transporte le tout dans mon sac à dos sous l’œil attentif du vigile. J’ai bien tenté de lui faire porter mais il préfère rester derrière moi. Soit.
J’arrive aux caisses et il n’y a personne. Pas de caissière, pas de client. Hou la, ce n’est pas normal… Une dame dans la boîte centrale me voit, soupire et me signifie du doigt d’aller à cette caisse. Non, celle-là. Re-soit. Je déballe mes cinq achats, je retourne le sac à dos en le secouant très fort pour réconforter le vigile. Il ne respire pas bien, là… La dame de la boîte centrale approche, me regarde, le regarde, soupire, s’installe. Elle fait beaucoup de trucs étranges mais toujours sans un mot. Je suis proche de la quatrième dimension, je le sens…
« Heu… J’peux passer, j’ai qu’ça ! »
Je me retrouve avec une bouteille de coca king size sous le nez, la repousse pour distinguer mon interlocutrice. Parce que c’est une femme. Jeune. Avec un gros ventre. J’ai des cœurs plein les yeux et de l’amour dans les tripes. Je suis primaire comme fille, je pardonne beaucoup aux femmes enceintes avec un bidon lourd, des jambes lourdes, un dos cassé, etc. Je leur pardonne l‘oubli de la politesse, leur impatience, leurs impératifs égocentrés. Beaucoup.
« Mais vous êtes surtout très enceinte. Je vous en prie, passez. »
« … Ben non… »
Non ? Non ! Mais fichtre cul ! J’ai cinq pauvres articles, deux béquilles, un vigile qui suffoque et une boîte centrale qui soupire ! Et l’autre naze veut passer pour s’enquiller plus vite ses deux litres de coca ?
« Alors ?... J’peux passer ? »
« Ben non ! Vous êtes juste grosse et moi j’ai deux béquilles ! »
Oui, je suis méchante mais prioritaire. Bordel !
Oui, je confesse que j’ai eu honte un tiers de seconde. J’aurais détesté qu’on me rappelle que je suis grosse en public. Je le suis aussi. La seule différence réside dans le fait que je ne me serais jamais mise dans une situation aussi grotesque et impolie. Dans la quatrième dimension, je m’accroche à mes principes. Je suis instinctive comme fille.